Neuf ans plus tard

Eté 2010

Au cours de cette traversée, je me demandais régulièrement ce que me réservait ce retour dans mon pays. Je le sais maintenant !

Contrairement à ce que je pensais à Matadi, la dernière nuit passée dans ma caravane n’était pas à Captown mais au nord du Maroc où je vis maintenant depuis le début de l’année 2001 et où une piste de sable mène à la jolie petite maison que je loue en bordure de l’océan depuis l’automne 2004. Nadrêva est dans mon jardin et après m’avoir abrité durant cinq ans, je vais parfois la rejoindre et y dormir. Des images de notre périple me reviennent alors et je lui parle comme à une vieille complice de ce que nous avons vécus pendant ces années. Toujours pas assuré contre le vol, Charly m’a été volé, un soir du mois d’août 2003, à Avignon et les Baby’s sont décédés un an plus tard. Jazz d’un cancer et, neuf semaines plus tard, Zimba allait mourir sur la tombe de son fils. Mes deux chérubins sont enterrés au fond de mon jardin sous une haie d’hibiscus et de bougainvilliers, aux pieds de pins centenaires qui les protègent du soleil. Pareils à ceux que je rencontrais sur les routes africaines, trois chiens, dont deux bâtards jaunes qui vivaient d’expédients et dormaient près des poubelles sont maintenant mes adorables compagnons. Mes meubles ont réintégré un univers « normal ». Lors de l’ouverture des cartons contenant mes vêtements qui m’avaient été livrés avec le reste de mes affaires, je n’en croyais pas mes yeux. Je retrouvais l’homme que j’étais précédemment et ne comprenais pas pourquoi j’avais besoin de tous ces costumes comme des cinquante chemises et des trente paires de chaussures qui les accompagnaient. Je jugeais ridicule d’avoir été, à ce point, l’esclave de la société dite « civilisée » et de ses sacro-saints besoins de consommation.

Comme me l’avait prédit Kaly au cours de notre épopée, le retour en France ne fut pas exactement ce que j’imaginais. Dès notre arrivée, le gri-gri qui m’était contraire reprenait ses droits. Trois heures après avoir débarqué du Rosa, à la sortie de Poitiers, alors que je roulais sur la belle nationale 10, la boîte de vitesse réparée en Tanzanie était une nouvelle fois hors d’usage. Ce premier incident n’entachait en rien ma bonne humeur. J’étais heureux d’avoir réussi mon pari et d’être à nouveau dans « mon » pays. Pressé de revoir les miens, je réussissais tant bien que mal à rejoindre Beaugency où mon frère m’attendait. Quarante-huit heures plus tard, Charly était remorqué vers la région parisienne où je devrais débourser près de vingt mille francs après m’être bagarré durant quatre mois avec trois garages pour la réparation d’une boîte de vitesse qui, trois mois plus tard, sera à nouveau inutilisable… Lors de nos rencontres, ceux qui me sont chers écoutaient avec attention et respect les principales anecdotes de notre périple que je ne me lassais pas de raconter. Puis, le quotidien ayant reprit le dessus, chacun se replia stratégiquement sur ses positions antérieures. Peu de temps après, j’étais à nouveau celui qui inquiétait : un homme sans emploi et sans revenu. Pour remédier à cet état de fait, je me mettais à la recherche d’un travail. Etre à nouveau un commercial, là où j’excellais auparavant, me paraissait un bon choix. L’unique chef d’entreprise qui accepta de me recevoir, (le propriétaire d’une société fabriquant des caravanes), m’a dit à la fin de notre entretien qu’à mon âge et avec ce que j’avais fait, j’étais un homme complètement ingérable.

Trouver un emploi me semblait alors plus difficile que de franchir les obstacles qui jalonnaient mon parcours africain. J’avais traversé des pays exaspérés pour me retrouver en face de compatriotes uniquement préoccupés par le grand argentier et qui, à quelques exceptions près, se moquaient éperdument de mon histoire. J’essayais de me convaincre qu’il me fallait mener une vie normale et stable, alors que j’étais le plus heureux des hommes lorsque je voyageais et fuyais la vie de ceux qui mènent une existence normale et stable. Deux mois après mon retour, j’étais à nouveau dans le même état d’esprit qu’au cours des mois précédant mon départ. Je ne reconnaissais plus l’homme qui avait vaincu sa peur et gagné la sérénité. Les événements négatifs que je vivais, comme les angoisses que je ressentais, me persuadaient que ce gri-gri était encore efficace. J’apprenais, peu après mon retour, que le marabout du Mali avait une nouvelle fois raison. Commandité par la jalousie et avoué auprès de ma nièce par une femme qui, depuis, est guérie de son cancer, ce gri-gri avait bien été réalisé. Il était encore actif au cours de mes premiers retours en France où je vivais systématiquement une nouvelle galère telle, que le vol de Charly. Fort heureusement, avec le temps, ce phénomène semble s’être atténué et, lors de mes récents séjours, je n’ai plus ressenti cette angoisse qui m’accompagnait auparavant.
N’étant plus qu’un étranger dans mon pays, quatre mois après mon retour, au début du mois de janvier 2001, j’ai décidé de lever l’ancre. Quelques jours auparavant, ma petite sœur chérie m’a demandé où je comptais me rendre. Ma décision était évidente : les Babys et mon attelage reviendraient vers ce continent qui m’est si favorable. J’ignorais ce que j’allais y faire mais, après avoir compris que rien ne me réussissait davantage que le voyage et l’action, n’ayant à nouveau plus rien à perdre, sans revenu depuis six ans, persuadé que ma vie serait plus facile au soleil et aussi moins chère qu’en France, j’ai rejoins la route qui m’a conduit à Rabat. Trois jours plus tard, nous avons réintégré le camping de Salé, là où nous étions lorsque j’attendais mon visa pour la Mauritanie.

Les prédictions du marabout malien concernant ma caravane et le gri-gri s’étant réalisées, il me fallait maintenant renouer avec les gains. Durant les trois premiers mois, j’ai longuement travaillé sur le projet de création d’un café théâtre sur le site exceptionnel de «Chellah », la plus ancienne médina du Maroc. Situé à quelques pas du palais royal de Rabat, il y subsiste de magnifiques ruines romaines. Ce décor me semblait parfaitement convenir pour ce que je souhaitais y réaliser. Malgré l’intervention de la Princesse Lalla Amina, la tante de Sa Majesté Mohammed VI, qui m’avait reçu en entretien privé pendant plus d’une demi-heure, cette idée fut rejetée par les autorités de tutelle. A la suite de cet entretien, connaissant mon histoire par les journaux, l’un des proches de la Princesse m’a dit que je devrais remercier le Bon Dieu d’avoir fait faillite. Ce que je faisais à ce moment-là et plus tard pour cette fois le remercier que cette idée n’ait pas fonctionné. Mon «Pari de fou » était de nouveau à l’origine de nouvelles interviews, de ma photo en première page de «L’Opinion » avec une page trois qui relatait notre aventure titrée : « Le Livingstone du vingt et unième siècle s’établit définitivement au Maroc après 29 835 kilomètres de vadrouille en Afrique ». Un autre media réputé, (l’Economiste), éditera, lui aussi, six semaines de suite, une page entière de mon récit qui, relayé sur Internet, régalera de nombreux internautes et sera également à l’origine de nombreuses réactions très positives. Les journalistes des deux chaînes de télévision nationales sont venus me rencontrer sur le camping. Leurs reportages passaient au journal du soir à une heure de grande audience. Notre aventure sera également écoutée sur les radios marocaines. Depuis lors, j’étais, à nouveau, dans une phase ascendante.
L’argent tiré de la vente de mon appartement n’étant pas sans fin, quelques semaines plus tard, après m’être posé la bonne question, j’ai eu l’idée de créer un guide sur les :
« Maisons d’Hôtes et Hôtelleries de Charme au Maroc » qui par chance n’existait pas. L’idée a, au demeurant, merveilleusement fonctionné puisque en tant qu’auteur et éditeur, je vais très prochainement réaliser la neuvième édition de cet ouvrage. Lors de ma première tournée pour référencer ces superbes demeures, je me suis rendu aux « Grottes d’Hercule » situées à quelques encablures de Tanger. L’homme qui me guidait pour cette visite m’a tout d’un coup dit: « C’est ici que les deux mers se rejoignent ». Les prophéties du marabout malien, celles du sorcier béninois comme celles de Francisco à Cuba se réalisaient. Cette constatation sera à l’origine de nombreuses questions non résolues à ce jour.

Sur le premier des reportages que produira « Le Caravanier », le rédacteur en chef écrivait : «Début novembre 1999, coup de fil à la rédaction: un particulier qui souhaite quelques renseignements avant d’acheter une caravane d’occasion, une Donné de plus de vingt ans, mise à prix aux environs de 8000 F. « Je vous précise que je compte l’atteler à un 4×4 pour traverser l’Afrique… Je veux aller jusqu’au Cap ! » Blanc au téléphone, avant de convenir d’un rendez-vous avec cet original, pour n’employer que la traduction polie du nom que portera longtemps «l’individu» au sein de la rédaction. Car il faut bien convenir que le projet de Claude Poirier est pour le moins… original. Ce quinquagénaire, ex chef d’entreprise (en faillite) devenu romancier (non publié,) cherche en fait un nouveau sens à sa vie. L’Afrique doit être le cadre de son prochain roman, le journal de bord d’un périple dont nous nous rendrons compte très vite qu’il a été aussi bien préparé qu’une traversée de Paris en métro. «Je n’ai jamais tracté, c’est compliqué? Et la vie en caravane, ça se passe comment ? Pour avoir de l’électricité, il faut un équipement particulier ? Et mes deux petits chiens, vous croyez qu’ils vont supporter le voyage…?» – «… Disons surtout qu’un voyage comme celui-là, ça se prépare…» – «Sans doute, mais moi je compte partir dans deux jours…! Ça vous intéresserait éventuellement, un reportage sur mon voyage?» Vu que le lascar présentait un niveau de connaissance de la situation géopolitique africaine au diapason de sa préparation, autant vous dire qu’on croyait ferme à la réussite de l’entreprise. A notre niveau, le pari c’était plutôt de savoir s’il passerait la Loire ! Et puis, il y eut ce coup de téléphone de l’ambassade de France au Gabon, qui se renseignait sur la présence d’un Français en caravane à Libreville, et puis il a eu Le Cap, la Tanzanie, et des arrivages réguliers de photos témoignant de l’incroyable déroulement de ce périple hors du commun. Un voyage réellement extraordinaire que nous vous raconterons au fil de nos prochains numéros.»

Le quatrième numéro de ce long reportage concluait par : « Pour nous, une certitude. Au cours de ce long voyage africain d’environ dix mois, Claude Poirier a vécu son retour vers l’essentiel. Un exploit difficile à qualifier. Il n’avait jamais conduit un attelage auparavant et s’est tout de même payé «le luxe» d’effectuer près de 30 000 Km sur les pistes africaines avant de ramener en France son vieux 4×4 Toyota et sa vaillante caravane Donné rafistolée de partout. Il partait à l’aventure, la vraie, sans préparatifs, sans itinéraire. On pensait qu’il ne passerait pas la Loire et il a finalement traversé l’Afrique. Sans aucun doute, Claude Poirier, est allé plus loin que quiconque avec sa caravane. Le fou. »

À la suite de ce long parcours initiatique, après avoir compris ce que je devais comprendre et être devenu l’homme que je devais devenir, je pense à cette phrase écrite par André Gide : « L’homme est accompli lorsqu’il a touché le fond et qu’il réussit à remonter le courant ! ». J’ai aussi une pensée émue pour mon père qui m’avait écrit pour mes 20 ans : «…Tu ne regarderas jamais au-dessus de toi, mais de face. Ainsi tu seras toujours heureux et tu aideras ceux qui t’entourent à l’être… » Ce qu’il avait tenté de m’apprendre, la vie s’était chargée de me l’enseigner. Si Kaly était près de moi il me citerait sûrement ce vieux proverbe bambara : «On peut rater ce que l’on désire, on ne rate jamais ce que le destin a choisi… » 
À la fin du mois d’août de l’année 2003, soit un peu plus de trois ans après notre séparation, je me demandais toujours ce qu’était devenu Kaly dont je n’avais aucune nouvelle. Je me suis rendu, par avion, à Bamako où, après avoir reconnu le quartier, la rue et la maison j’ai retrouvé son oncle. Visiblement heureux de me revoir et au courant de ce que son neveu et moi avions vécus, il m’a remercié et m’a fortement serré dans ses bras. Daou m’a apprit, qu’après avoir séjourné un moment en Angola où il a tenu un restaurant et passé un court séjour en prison, notre homme a été renvoyé dans son pays par les autorités locales. Depuis ce jour il ne l’a pas revu et il ignore si notre énergumène est de nouveau en Mauritanie ou quelque par ailleurs. J’ai noté son téléphone et lui ai communiqué les miens. Je l’ai prié de bien vouloir me prévenir pour le cas où il aurait des nouvelles et lui ai laissé, pour le cas où Kaly réapparaîtrait, de nombreuses coupures de journaux publiés en France, un exemplaire des deux articles parus dans « L’Union » à Libreville, les quatre longs reportages réalisés par « Le Caravanier », celui de « 30 Millions d’Amis » et ceux publiés au Maroc.

Au mois de septembre 2008, j’ai reçu un appel sur la boîte vocale de mon téléphone portable : « Là c’est Kaly, ça fait des années, je veux téléphoner à Claude qui me manque beaucoup, j’ai peut-être fait un faux numéro. Si vous le connaissez, merci de transmettre le message ». L’appel provenait de Guinée Conakry, un pays d’Afrique que je devrais découvrir un jour prochain. Par la suite, de nombreuses communications m’apprendront que notre ami est marié, que deux enfants sont nés de cette union et qu’il travaille comme cuisinier pour une société américaine exploitant une concession aurifère au nord du pays. J’ai récemment appris que mes amis du Cap avaient divorcés et, il y a quelques mois, Robert et Christine ont quitté le Gabon et habitent maintenant à quelques encablures de là où je réside. Lors de leur premier voyage pour découvrir la charmante petite ville de Mohammedia, ils m’ont appris le décès de Corinne survenu trois ans auparavant. Bien qu’ils en ignorent la cause réelle, mes amis pensent encore aujourd’hui qu’elle est morte d’un abus de drogue, ce qui était notoirement connu à Libreville ! Ce que je n’avais ni vu, ni compris et qui expliquerait son comportement destructif. Le 21 octobre 2003, R.F.I. annonçait l’assassinat par un policier de leur correspondant devant le siège de la direction générale de la police nationale à Abidjan. A l’écoute de cette information je pensais à cet homme qui m’avait si gentiment reçu cher lui à Libreville et au long entretien que nous avions eu. Plus tard, le jury a reconnu le sergent coupable du meurtre de Jean Hélène et l’a condamné à 17 ans de prison et 500 000 francs CFA d’amendes en lui accordant des «circonstances atténuantes»… Par cette même radio, j’ai appris, un an après mon retour, que François Roux avait gagné son procès et que le maire de Matanza était le premier homme acquitté à Arusha.

Au cours de ces dernières années, j’ai laissé traîner mes guêtres sur les territoires malgaches, vietnamiens, chinois ou grecs et plus récemment, à New York et à Salt Lake City où un motor-home nous attendait ma nouvelle femme et moi. Au cours de cette nouvelle randonnée de plus de quatre mille cinq cent kilomètres, nous avons visités l’Utah, l’Arizona, le Nevada et la Californie. Souhaitant faire connaître à mon épouse marocaine des émotions identiques à celles que j’ai ressenties en Afrique, nous avons pratiqué du camping sauvage sur des sites somptueux tels que le Grand Canyon ou celui de Brice Canyon et d’autres sur le plateau du Colorado et dans le désert. Puis, plus tard, sur ceux tout aussi attrayants du golf de Las Vegas, des studios Universal City à Los Angeles, face au port de Monterrey et du « Golden Gate Bridge » à San Francisco et au bord de l’océan pacifique. Au début, Bouchra appréhendait quelques peu ces endroits sublimes, mais isolés, où nous bivouaquions, puis elle a très rapidement aimé cette vie que nous partagions au sein de paysages grandioses éclairés de nuits étoilées qui ont balisés notre magnifique voyage de noces.

En empruntant, trois ans auparavant, la route étroite qui longe la lagune et mène à Dakhla, où je me suis rendu pour visiter une maison d’hôtes, j’étais loin d’imaginer qu’elle me mènerait vers celle qui allait devenir ma femme. Je conduisais en admirant la somptuosité du paysage et les dunes de sable sur lesquelles se détachait l’ombre de ceux qui pratiquaient du kite surf sur ce bout d’océan. Je me remémorais ce que j’avais vécu depuis que j’avais parcouru cette même route avec Charly et Nadrêva quelques années avant. Face à moi, roulait un camion qui, à une vitesse excessive, transportait du graphite dans une benne qui aurait du être recouverte par une bâche. A l’instant où nos véhicules se sont croisé, par un violent appel d’air, quelques fragments se sont envolés de son chargement qui, s’écrasant sur la chaussée et sur mon 4×4, griffaient le capot et ont fêlé le pare-brise en de multiples endroits. N’ayant pas eu le temps d’apercevoir la plaque numérologique du bahut, j’ai rejoint une mine d’extraction où était broyé les pierres. En voyant les dégâts, deux jeunes marocains ont deviné ce qui m’amenait et m’ont conduit vers le chef de chantier qui, lui, maîtrisait le français. Ayant écouté ce pourquoi j’étais là, l’homme avec son téléphone en appela un autre qui me demanda de l’attendre devant le baraquement des gendarmes qui, à l’intersection de la route, contrôlent l’accès qui mène en Mauritanie. Face aux hommes du poste, j’ai revécu l’accident avec la Mercédès et les mauritaniens qui me poursuivaient. Trois quart d’heures plus tard, n’ayant aucune nouvelle de celui que j’attendais, je l’ai rappelé. L’homme me dit alors qu’il était encore à cent vingt kilomètres de notre point de rencontre et de bien vouloir l’attendre. Las d’attendre, je lui ai proposé de me rejoindre à l’hôtel où je passais la nuit. A dix huit heures, la réception m’a prévenu qu’un homme me demandait. Accompagné d’un garagiste, l’homme a constaté les dégâts et m’a proposé de payer la réparation en espèces ou de remplir, le lendemain matin, un constat à l’amiable. Ce que j’ai choisis. Une heure plus tard, l’homme est revenu avec l’un de ses amis parlant parfaitement le français. Ils avaient, en main, trois formulaires vierges et le permis du chauffeur du camion. Prenant totalement la faute à leur charge, quelques minutes plus tard, le constat était rempli. J’ai proposé de leur offrir un verre qu’ils ont refusé. Une heure après, estomaqué par ce qui c’était passé, j’ai rappelé l’homme pour le remercier et lui faire part de ma surprise face à son incroyable honnêteté qui lui a fait parcourir plus de deux cent kilomètres pour venir accomplir un acte auquel, compte tenu du peu d’éléments dont je disposais, il aurait pu échapper. L’homme m’a répondu que pour un sahraouis, l’étranger mérite un profond respect et, qu’à ses yeux, son attitude a été tout ce qu’il y a de plus normal. J’étais, une nouvelle fois, confronté à un homme qui méritait ce nom et venait s’inscrire à la petite liste de ceux pour qui j’ai la plus grande reconnaissance. De retour à Casablanca, j’ai porté mon constat à mon agent d’assurance. Absent ce jour là, j’ai remis le document à Bouchra, son assistante depuis douze ans. Une fois encore, ceux de Là-haut m’avaient guidé et, le 13 juin dernier, soit trois ans après notre rencontre et exactement dix ans après le jour où j’ai atteint le Cap de Bonne Espérance, nous avons convolé en juste noces avec ma jeune femme de 40 printemps ans qui, exceptionnelle et merveilleuse, me rend parfaitement heureux.

Bien que, par moments, l’appel du large retentisse puissamment, je suis maintenant un homme dont le maître mot est : Humilité et, au moment où s’achève cette longue parenthèse de ma vie, il fait 17°C au Cap, 36 °C à Maputo, plusieurs milliers de personnes meurent chaque jour du Sida et de la malaria, de la mouche tsé-tsé et de malnutrition sur le continent africain et la France recherche les sept otages kidnappés par des touaregs membres d’Al Qaïda au Mali.

Claude Poirier